L'émigrant alsacien
Le colon « algérien », quittant son Alsace natale, abandonnait sa maison, sa ferme. Il réalisait tout son avoir, vendait tout son bien pour financer son départ, son voyage et l'implantation dans sa nouvelle patrie. Il payait ses dettes, s'il en avait, et demandait son passeport. Adieu la maison à colombages, l'intérieur douillet, la manière de vivre, les amis du « Stammtisch », le dialecte, le village ...
C'était l'aventure ! avec tout ce que cela suppose de joies, de peines et de difficultés. Mais aussi de tristesse contenue, malgré tout, de laisser un monde, une civilisation, un environnement qui, même s'il était parfois difficile, avait l'avantage d'être connu. Et pourtant ils partaient ... beaucoup !
Par exemple, de 1846 à 1856, des statistiques nous indiquent que 7 597 personnes ont émigré d'Alsace vers l'Algérie. Des couples mariés, souvent avec enfants, des célibataires aussi.
Un voyage de trois semaines, en diligence, en chaland jusqu'à Chalon-sur-Saône, ou par le train, voire même à pied. Puis le bateau à vapeur jusqu'à Arles. Encore le chemin de fer jusqu'à Marseille ou Toulon, ports d'embarquement, souvent dans des conditions précaires. Une traversée de quatre jours, sur des bateaux peu confortables, et les côtes de l'Afrique du Nord se précisent.
D'Alger, d'Oran, les colons « concessionnaires » se rendent sur le lot qui leur a été attribué. Par exemple : « un terrain situé à l'ancienne Smala des Spahis, portant le numéro 11 du plan de lotissement (d'une superficie de l'ordre de 10 hectares ...). Ce terrain est de nature de terre labourable, inculte ; le sol est couvert par quelques jujubiers et des buissons épineux ; il n'existe dessus ni construction ni plantations ».
Le colon s'engage à « construire une maison d'habitation et clore par des haies vives ou des fossés la parcelle dont il sollicite la concession, dans le courant de l'année 1856, à planter 250 arbres (25 arbres fruitiers ou forestiers de haute tige par hectare), planter 1/3 par année à partir de ce jour ; défricher entièrement le terrain et arracher les jujubiers et autres épines s'y trouvant, et mettre en culture la totalité des terrains concédés dans un délai de trois ans à partir du jour de la mise en possession ».
Ce mode de « colonisation officielle », organisé et encouragé par l'État, qui concédait gratuitement des terres et créait des villages, apportait aussi des obligations aux colons. Ceux-ci, cultivateurs ou journaliers, pour la plupart, souhaitaient obtenir des terres pour se créer leur propre exploitation, et tenter ainsi de mieux vivre.
Parfois c'est l'État qui construisait les maisons. Elles étaient très simples : 12 mètres de long sur 5 mètres de large, avec des murs en pierres. Le mortier est composé de chaux maigre et de sable. La couverture est en tuiles.
A droite et à gauche, deux pièces identiques, de 4 mètres 10 sur 3 mètres 10, avec une fenêtre de chaque côté et un renfoncement pour une armoire éventuelle. Une porte intérieure donne dans la pièce principale.
Celle-ci, carrée (4 mètres 10 x 4 mètres 10) comporte deux renfoncements et une cheminée. De chaque côté une porte donne sur l'extérieur.
Les routes aux alentours sont défoncées, peu d'arbres et la chaleur (comme en 1848 ...) On ensemence les terres, on crée des jardins ...
La vie est dure et la nourriture pas toujours abondante.
On aménage la maison. Avec des caisses de récupération on fait des lits, des étagères, des bancs.
Les récoltes sont aléatoires et souffrent beaucoup du manque d'eau ou des invasions de sauterelles. On manque de tout et certains repartent.
Pourtant la vie continue. Des villages se créent, des communautés se constituent. On acquiert du matériel agricole plus performant.
Petit à petit tout s'améliore. Un épicier, un boulanger, un boucher vivotent, mais le manque d'argent empêche les industries de se former.
On construit des norias qui serviront à l'arrosage des jardins. Chacun s'active à peupler les basses-cours : les volailles et les chèvres abondent, quelques vaches et quantité de cochons qu'on engraisse pour mettre dans le saloir.
Il faut aller loin pour moudre le grain, souvent en voitures à chevaux. Des moulins sortent de terre. On crée des étables, des écuries, des granges ...
L'armée se retire progressivement, laissant l'autonomie aux villages qui créent des communes.
Avec le temps arrive une nouvelle identité, le profil du « pied-noir » se profile. Des coutumes voient le jour. Un dialecte aussi, le « pataouète », mélange de français de la métropole, d'arabe, d'espagnol et d'italien, reflétant ainsi la multiracialité de l'Algérie.
Les cultures progressent ; certains font du vin ...
On n'oublie pas sa terre natale, mais elle n'est plus qu'une idée, surtout dans la tête des enfants nés ici.
Mais nombre d'entre eux feront le voyage en sens inverse, surtout en 14 - 18 et en 39 - 45, découvrant ainsi, souvent pour la première fois, le pays de leurs aïeux, et beaucoup viendront y mourir dans des combats meurtriers.
Plus tard, plus d'un million franchiront la Méditerranée, obligés de quitter ce pays, leur pays, où ils avaient pris racine, pour un retour sans gloire vers la Métropole et une autre vie.