1851 : Voyage en Algérie

Apres divers périples à travers la mitidja ; le voyage continue :

Je me réveille ... On recommence de chanter ; il est quatre heures ; on chantera jusqu'au jour ! « Oh ! qu'il vienne ce jour, et que je m'en aille ! »

Maliani qui a mieux utilisé sa nuit que les ulémahs et moi, est prêt dès la veille ainsi que ses bêtes ; car tout le procédé pour se mettre en route consiste à se dresser tous trois sur leurs pieds ; selle et bât pas plus que burnous, n'ont quitté les malheureuses épaules. Un coup de bâton au mulet ; deux et trois au bourriko pour son dos et ses âmes ; nous partons.

Notre cortège s'est augmenté d'un personnage qui n'est pas sans importance ; comme, pour passer les monts Soumata qui nous séparent de Bou-Medfa, il n'y a aucune trace de chemin, Bou-Allem a donné l'ordre à un cavalier, de nous conduire jusqu'au sommet. A l'occasion de ce guide, disons que les tribus d'un district doivent envoyer tour à tour, chez leur chef, un certain nombre de cavaliers qui s'y tiennent à sa disposition, pour l'exécution de tous les actes de son autorité. Ainsi Bou-Allem ayant le titre de bach-aga qui équivaut, je crois, à celui de préfet ou général de brigade, il a continuellement sous la main une vingtaine de cavaliers. Ce n'est pas que cette garde d'honneur soit bien splendide ; non. Même à voir la mine misérable de la plupart de ceux qui la composent, on est fondé à croire que ce sont les membres les plus pauvres des tribus qui, moyennant quelque légère rétribution, font là le triste métier de remplaçants, méritant par excellence d'hériter du nom, comme des fonctions de nos anciens tourlourous. Celui qui nous guide, est des plus sales ; mais attentif,complaisant, quoique d'un sérieux à la glace. La montée est raide haute d'environ 600 mètres, à travers les ronces et les broussailles, ce manteau déchiré et déchirant qui revêt presque tous les flans de l'Atlas. Sur un premier sommet, une contrée tourbeuse, humide, contient plusieurs pâturages qui y ont appelé quelques gourbis ; puis vient une dernière rampe presque droite, au haut de la quelle est le col. Arrivé là, le guide nous montre un village à quatre lieues de distance, et 7 à 800 mètres d'abaissement. « Bou-Medfa » dit-il, et il tourne la bride. Je suis obligé de le rappeler pour lui donner la pièce de merci. Il en est aussi heureux que étonné ; pour la première fois je vois s'émouvoir son impassible physionomie. Je le répète, si le mal est rapide chez ces gens, le bien pourrait l'être tout autant, peut-être plus.

Nous sommes sur la crête de partage de deux bassins étendus. Celui de droite est dominé par le Djebel Nador et le Mouzaïa ; celui de gauche, par les monts Soumata que l'on voit parsemés de bouquets d'arbres à hautes tiges, cèdres, thuyas articulés, pins ou chêne à glands doux. Le fond est composé d'un entassement de collines et de bourrelets séparés entr'eux par des fentes, des ravins escarpés, qui indiquent la nature du sol, argile, gypse et marne ... Nous laissons à notre droite, un Douair considérable, situé comme un village Suisse, dans de belles prairies au pied d'un escarpement élevé et presque vertical ; puis par des boues affreuses, nous arrivons à Bou, on devrait écrire et dire, Bou-Medfa. Là encore, bon sol, situation magnifique, étape, halte entre Affroun et Milianah, toutes les conditions réunies pour la prospérité ; mais, point de route, point d'habitants. Le concierge, ancien soldat du génie (*), qui y vit seul avec sa famille, tient cantine, pour les rares voyageurs qui y font appel. Or comme Bou-Allem met au nombre de ses principes hygiénique à l'usage de ses hôtes, celui de ne pas les faire déjeuner avant de partir, et que , par conséquent, nous arrivons à jeun après une marche de 5 à 6 lieues, je fais complet honneur à l'omelette et au vin de la cantine.

Pendant que Maliani et ses bêtes se repose, je parcours quelques rues de cette colonie mort-née. Le regret est d'autant plus grand d'y trouver le silence et le vide, que la position est des plus attrayante ; la Suisse seule peut offrir quelque chose de plus pittoresque. Au débouché d'un défilé qui traverse l'Atlas, commandant le bassin étendu que nous venons de parcourir, Bou-Medfa est un poste d'une grande importance. Les Turcs l'avaient compris ; ils avaient construit sur un tertre voisin, un fort nommé Bordji-Bou-Allouan, où ils entretenaient une garnison. Les Français l'ont restauré, augmenté, d'un télégraphe ; à côté est une Koubbah. Ces constructions, les maison de la colonie, les fortifications qui les entourent, les monts qui les encadrent, tout contribue à y créer un ensemble curieux ... (à suivre)


(*) Ce soldat du génie a été identifié par une généalogiste Québécoise (Claude-France LÉON) il s'agissait de son trisaïeul dont voici les renseignements qu'elle a retrouvés à son sujet et qu'elle m'a aimablement communiqués.

Il s'appelait : Julien GRANGER, né le 10 mars 1819 à : COLOMIER SAUGNIEU en Isère, il arriva en Algérie en 1841 avec la compagnie MOZEL il est démobilisé en 1846.

Il fait venir sa femme Françoise née DAVID (qui disparaîtra ensuite), et son fils.

Il aura 8 autres enfants avec sa belle soeur Joséphine née DAVID (les enfants porterons le nom de David dit GRANGER).

Il obtient une concession à Bou-Medfa le 14 Juin 1855, qu'il attendait depuis 4 ans, elle était au bord de l'Oued Djer sur la route de Bou-Medfa à Vesoul-Benian, (par la suite un pont sur l'Oued Djer porta le nom de : « Pont GRANGER »). Il y construisit une auberge, elle comprenait ; un bâtiment composé d'un camp de Logis, écuries, hangar, remise, pour chevaux, et équipages, matériel d'Auberge, four de boulangerie, meubles d'une valeur de cinq mille francs, une petite maison pour la famille, il y avait aussi des oliviers, cultures de céréales, cultures de légumes, la concession était composée de 6 parcelles.

C'est donc bien lui qui était chargé en 1851, de surveiller (le récit dit : concierge) les bâtiments fraîchements construits, par le génie militaire, du village de Bou-Medfa « il y tenait aussi cantine pour les rares voyageurs » comme le témoigne le conteur de ce récit.

Les premières familles de colons arriveront à Bou-Medfa à partir de 1852.